Ce qui suit constitue un relais numérique de la revue persistances.

Si nous ne publions pas l'ensemble des textes de la revue sur le site, ce n'est pas dans une logique de "rétention d'informations", mais c'est que, à nos yeux, faire une revue et faire un site sur Internet sont deux gestes distincts et auto-suffisants : ni une revue ni un site ne sont de simples réservoirs d'informations, mais impliquent chacun une mise en forme spécifique du sensible.

Que l'on considère donc cette rubrique comme une invitation faite à d'éventuels internautes curieux à faire un pas vers quelques pages à feuilleter...

Regard critique sur le cinéma, le temps, les faits et les choses

Persistances se méfie de tout ce qui clôt, emprisonne, identifie. C’est dire qu’elle se méfie des cinéphiles. Du cinéma, plutôt, elle guette les signes de vie. Le vert-bleu d’un lac. Le vent devenu sable d’une dune qui s’égrène. Le rouge de la grenade. L’insurrection de la forêt. Un peuple en armes. La terre en transe. Les loups, toujours vivants. Images-soulèvements, projets d’impossible, Une nouvelle perception du présent.

N° 3 été 97 - 30 F
éditée par l'Association 24 fois par seconde
4 rue Franc 31000 Toulouse
(tél: 05 61 24 11 01, fax: 05 61 63 12 64)

  • D'un art sans avenir
    Muriel Combes

  • L'Atelier des Arpètes: un collectif de graphistes en devenirs

  • Recomposition du privé, familiarité du public:
    Pliages sur l'espace télévisuel

    Muriel Combes

  • Contrevenir (1)
    Bernard Aspe

  • Contre-reprise
    Nicolas Azalbert et Laurent Lunetta

  • "Hélas pour nous"
    Préface à l'entretien avec Jean-Luc Godard

    Yves Dupeux et Emmanuelle Rallu

  • Entretien avec Jean-Luc Godard

  • Passion de Jean-luc Godard
    Le travail et l'amour, l'image cinéma

    Yves Dupeux

  • Un animal, des animaux : Travail et singularités
    Marianne Thomat

  • La règle du jeu dans La règle du jeu
    Jean-Luc Nancy


Sommaire du numéro 4 (à paraître début Mai 98) :

• Le spectateur et le « ciné-œil » de L’homme à la caméra Yves Dupeux • La machine de guerre du Ciné-œil et le mouvement des kinoks lancés contre le Spectacle Maurizio Lazzarato • Pour une généalogie des représentations assujetties Nicolas Azalbert • Trois questions à Jean Louis Schefer • Timescapes Angela Melitopoulos • Photographies Olivier Derousseau • Dessins Patrick Fontana • États de l’art Andrea Inglese • Injonction à assassiner l’ange de l’esthétique, qui ne meurt vraisemblablement pas Bernard Aspe • Avatars du public Muriel Combes • Artiste-masse et devenir-art Pino Tripodi • Et prendre la chanson à rebours Olivier Derousseau • Le cinéma au présent Propos croisés de Francesca Solari et Marcel Hanoun

Ouverture du n°4

Nous ne croyons plus aux artistes. D’ailleurs, eux non plus. Les cinéastes d’en France ont l’an passé tout juste assez cru en eux pour rédiger une pétition en faveur d’une hospitalité inconditionnelle envers les étrangers, pétition que, plus réalistes que modestes, ils ont lancée en tant que corps de métier et non en tant qu’artistes (comme réalisateurs et non comme cinéastes), mais en déclarant par là faire œuvre de « citoyens ». Le plus intéressant dans leur démarche est sans doute qu’elle ait inspiré un vaste mouvement pétitionnaire des travailleurs de l’immatériel (des graphistes aux avocats) qui ont utilisé leur outil de travail pour diffuser les pétitions et recueillir les signatures via Internet. Mais seul un regrettable contresens pourrait nous inciter à voir dans l’initiative des réalisateurs autre chose qu’un mouvement de professionnels, en l’occurrence des professionnels de la représentation. Car c’est bien de représentation qu’il s’agit dans le clip Nous, sans-papiers de France, par lequel les « cinéastes » ont prolongé leur engagement « citoyen » dans un acte « cinématographique » en filmant la porte-parole des sans-papiers de Saint-Bernard en plan-séquence, face à la caméra ; quitte à la constituer par là, d’une manière quasi-télévisuelle, en représentante officielle du mouvement des sans-papiers, c’est-à-dire en interlocutrice du pouvoir. Nous ne pouvons voir dans ce film qu’un geste qui demeure, faute de parvenir à construire une forme politiquement juste, l’engagement d’un sujet universel qui adresse aux citoyens un « message » en faveur d’une « cause » ; le médium qui véhicule le message étant finalement indifférent parce que séparé de lui, comme la forme de vie des cinéastes est séparée de celle des sans-papiers. Nous ne croyons plus aux artistes. Mais nous savons que nous ne pouvons plus nous soustraire à la force des images. Images, tous s’accordent désormais là-dessus, qui sont aujourd’hui moins que jamais de simples reflets de la réalité, mais qui en sont des composantes à part entière. Les jeunes habitants des banlieues, pour faire part d’une existence en révolte, sont amenés à désirer les répercussions médiatiques de leurs actes comme partie intégrante de ceux-ci, et ce malgré le rejet des journalistes de télévision toujours aux côtés de la police. À Strasbourg, les jours précédant la Saint-Sylvestre, les actes de révolte ont été décuplés par la diffusion télévisuelle des images de ces actes. D’aucuns verraient là un triomphe du spectaculaire intégré, la substitution du spectacle de la révolte à la révolte elle-même. Nous y voyons plutôt grandir une contamination réciproque de la lutte par la logique du spectacle, mais aussi du spectacle (pris au piège de sa propre logique : c’est beau une voiture qui brûle) par la révolte. Car ces images-spectacle ne fonctionnent que de solliciter un désir latent de casser le quadrillage des flux, de participer de cette interruption festive. Nous ne croyons pas à l’« éthique des journalistes ». (Pas plus d’ailleurs que nous ne faisons confiance à une très abstraite « éthique des cinéastes-auteurs » centrée sur la figure de « l’autre » pour reconstruire un rapport juste au réel.) L’ambiguïté du rôle des médias dans les luttes politiques se vérifie toujours. Aucune lutte ne peut prétendre aujourd’hui avoir une véritable existence politique sans être d’une manière ou d’une autre tournée vers les médias. Le problème est alors, pour une lutte, de ne pas s’y livrer au point de risquer de s’éteindre dès lors que les médias ont reçu l’ordre de se détourner d’elle. Dans l’actuel mouvement des chômeurs, le risque est permanent de se voir rabattu sur les images convenues du « sans-emploi », de l’« assisté », voire de l’individu « socialement inutile », les médias jouant sur les tensions internes du mouvement. Ici, on touche au rapport à soi comme étant simultanément la base d’un mouvement politique et l’enjeu d’une construction médiatico-policière du sensible. On se vit toujours soi-même en rapport à des images comprises en un sens large comme assignation à des identités repérables. La fixation, le replâtrage, la combinatoire de ces identités : tout cela définit la logique médiatico-policière ; la désidentification est la matrice de toute lutte politique dé-livrée, et c’est en cela qu’elle constitue un problème proprement esthétique, non pas comme sphère séparée mais comme fabrication du sensible. Nous croyons que communisme a nommé, nomme encore cette désidentification.