Chômeurs-ses, précaires, exclu-e-s,
LE BUG DE L'AN 2000, C'EST NOUS !
 

Cette année, les campagnes des différents mouvements de chômeurs et de précaires s'orientent vers une demande de la renégociation de la convention UNEDIC. Cet organisme paritaire gère ce que l'on appelait l'assurance-chômage, et distribue via les agences ASSEDIC les allocations liées aux fins de contrat de travail. L'UNEDIC collecte pour se faire les cotisations des patrons et des salariés. En fonction de la durée de cotisation , les chômeurs se voient alloués ou non une indemnisation dégressive (AUD), voire une pré-retraite (ARPE). Régulièrement, la convention qui règle ces droits est modifiée, et la convention actuelle expire le 31 décembre 99.
Il y a un véritable enjeu, que ce soit pour la CGT- chômeurs et précaires, AC!, le MNCP, l'APEIS et des collectifs indépendants, dans le fait d'arriver à peser sur le patronat pour impulser une sortie par le haut, vers le retour à une véritable assurance-chômage. Une approche de la lutte contre la précarité qui rejoint par bien des aspects la revendication du revenu garanti régulièrement développée dans notre presse et nos matériels militants.

UN REVENU GARANTI - UN GUICHET UNIQUE :
EN FINIR AVEC LE LABYRINTHE DES ALLOCATIONS MISÉREUSES

Le système d'indemnisation des chômeurs est devenu un réel micmac à tiroir. Allocation Unique Dégressive sur une courte période, RMI, ASS, API, AAH, etc. pour les minima sociaux octroyés sous condition quand on est en fin de droits Assedics, ou rien du tout pour les jeunes de moins de 25 ans, comme pour les personnes vivant avec un conjoint qui possède soit des droits, soit un contrat de travail. Le labyrinthe est parfois épuisant et il est fréquent que des périodes de carence de plusieurs mois s'intercalent entre deux ouvertures de droits sociaux. Ce système est plus qu'insatisfaisant, il s'agit plutôt de favoriser une lente glissade vers la survie et la dépendance tant les minima sociaux sont maigres.
Ainsi, la revendication principale qui se dessine est l'exigence d'un guichet unique, avec une allocation chômage unique et surtout non dégressive payée par l'UNEDIC. Ce serait la condition de la mise en place d'un revenu garanti décent pour toutes et tous. Si cette revendication constitue le corpus principal du discours de la CGT, qui a des membres au conseil d'administration de l'UNEDIC, on trouve chez les associations de chômeurs la demande de l'augmentation des minima sociaux. Si l'idée du revenu décent reste omniprésente, on peut y voir deux stratégies différentes. Il semble pour les associations que la lutte sur les minima s'inscrive dans une perspective très concrète et plus facile à s'approprier. On peut également considérer ce combat comme la volonté d'augmenter un salaire différé. Les effets de l'agitation autour de ce thème sont mobilisateurs et dans "l'hiver des occupations" (97-98), cette revendication est devenue largement aussi populaire que l'exigence d'une allocation d'urgence de rattrapage, travestie en prime de Noël par les plus frileux.

UN ENJEU DANS LE CADRE DE LA PROTECTION SOCIALE ET DES GARANTIES COLLECTIVES

Cependant, il apparaît que l'instauration d'une nouvelle assurance-chômage la même pour tous, au travers d'un système unique d'indemnisation est la revendication qui prend le mieux en compte les évolutions du salariat, le développement de l'emploi précaire et la question d'une refonte de la protection sociale.
En effet, et nous en avons longuement disserté dans les pages de No Pasaran, avec la fin du Fordisme et de son cycle vertueux salaires-consommation-production-emploi, la baisse tendancielle du taux de profit à amené les dirigeants économiques à faire peser le poids des investissements sur le salaire global des travailleurs. Non seulement les salaires liés au contrat de travail (gel ou baisse, contrats précaires, ...), mais aussi les salaires dits différés (allocations chômages de plus en plus réduites, allocations familiales et sécurité sociale "maîtrisées", ...). Le monde du travail flippe, les périodes de non-emploi s'allongent et les conditions de vie des chômeurs se détériorent de manière croissante. Cela explique notamment les revendications d'urgence sociale, mais cela explique surtout la volonté de bâtir de nouveaux modèles de garanties collectives, que ce soit sur la question de l'indemnisation du chômage ou de l'accès aux services publics et sociaux (énergies, santé, éducation, transports, etc.). Aussi, lutter pour que l'UNEDIC dispense une allocation unique dès la fin d'un contrat de travail ou en recherche de premier emploi, sans condition d'accepter n'importe quel job comme c'est le cas actuellement au regard des contrats d'insertion ou des contrôles de recherche d'emploi pilotés par les DDTE-FP, c'est saisir le passage de la fin du plein-emploi de papa et de ses compromis autour de la redistribution des richesses (salaires, conquêtes sociales) vers une vie active devenue beaucoup plus sauvage du fait de la domination sans précédent du Marché sur les politiques économiques et sociales. Les résistances à l'offensive libérales, qu'elles fussent syndicales ou politiques, n'ont pas su mettre en échec la voracité capitaliste, et la situation est devenue telle pour les travailleurs que pointe un retour à la défense catégorielle, corporatiste, quand ce n'est pas le repli individualiste.
Dans ce cadre, se battre pour retrouver l'âge d'or du peuple au boulot ressemble à une âpre chimère à l'heure de l'apartheid social et du développement séparé. Par contre, essayer d'organiser les travailleurs précaires, de manière inter-professionnelle, qu'ils soient en période de chômage ou en activité, avec ou sans statut (intérimaires, CDD, contrats aidés, intermittents, ...) est une perspective porteuse de nouveaux points de ruptures. Ce n'est pas simple mais il est louable qu'une centrale syndicale comme la CGT s'y attelle. Surtout quand la situation est comprise globalement et qu'à partir des luttes qui émergent chez les précaires (dans les comités de chômeurs ou dans les taules) on tente de proposer une nouvelle protection sociale en accord avec les conditions d'emploi d'aujourd'hui. Il y a une cohérence à vouloir implanter une résistance sociale chez les intermittents du travail et imaginer de nouvelles formes de garanties collectives largement en deçà des conquêtes sociales qui nous sont rognées chaque jour. Ce n'est pas parce qu'une partie de la population active a du mal à défendre son statut d'antan, qu'il faut croire à la défaite et à la régression sociale obligatoire. Tout peut dépendre de notre capacité à anticiper les réactions du Capital et à impulser des formes nouvelles de revendications, unificatrices pour certaines vers le monde du travail (comme le revenu garanti), tout comme des pratiques et des formes d'organisation multiples et originales.

CONSTRUIRE LE RAPPORT DE FORCE ET FAVORISER LES POINTS DE RUPTURES

C'est pourquoi, le combat actuellement mené sur la convention UNEDIC est novateur dans le sens qu'il s'appuie non plus sur des fédérations de syndicats ou de mouvements politiques mais sur l'auto-organisation de groupes de salariés solidaires, de chômeurs, avec chacun leur particularité d'intervention, coordonné souvent à la base ou fonctionnant en réseau dans et à l'extérieur des structures de lutte traditionnelle, mue par la motivation des certains et certaines à vouloir faire cracher aux capitalos le prix de l'horreur économique. Le caractère inter-pro des regroupements est également assez en phase avec la position de plus en plus mouvante pour les salariés en terme de changement de métiers, de formations, de "carrières" courtes et de missions. Cela pose de réels difficultés pour maintenir le lien entre les catégories et les individus, chacun ayant de même sa propre manière de vivre la précarité, mais cela a le mérite de se mettre en place, d'être tenté. Malgré les écueils et les fréquentes faibles mobilisations, l'impression de tourner en rond ne nous a pas encore gagné. C'est aussi le temps de l'empirisme. Il faut surprendre l'adversaire, le forcer à trouver des réponses là où sa pratique est vierge, le recroqueviller dans ses contradictions.
Bien sûr, l'exigence de la mise en place d'une assurance-chômage pour les périodes de non-emploi revêt un caractère profondément réformiste dans son aspect de énième compromis entre Travail et Capital, mais il est dans un sens porteur d'une vraie réflexion sur le salariat post-fordiste, ce qui est un ouf de soulagement pour celles et ceux qui sanglotaient en voyant le mouvement ouvrier historique se figer sur ses vieux schémas travaillistes, productivistes et consuméristes. Evidemment loin de porter une critique radicale sur l'ensemble des dominations sociales et économiques, la mise en place d'un revenu décent à travers un revenu individuel et garanti autorisant l'autonomie de l'individu permet d'amener d'autres débats jusqu'alors souvent contournés par les mouvements de salariés: fin de la relation centralement écrasante de l'Emploi à la Vie, temps libéré et droit à la paresse, utilité sociale du Travail, redistribution des richesses, notion de gratuité par l'accès libre au droits sociaux et aux services publics, donc remise en cause concrète de rapports marchands, etc. On peut dire que la lutte sur le revenu, qui se concrétise dans la campagne UNEDIC est un espace où pénètre plus aisément les velléités de libération du travail salarié. Ce n'est pas encore très clair mais il serait dommage de ne pas sentir et de ne pas favoriser ce pendant émancipateur du revenu garanti. Il ne règle qu'une partie de la question sociale. C'est une lutte sur le salaire global des travailleurs, et c'est en cela que cette revendication est en filiation directe avec les combats du mouvement ouvrier, "(...) qui peut être menée, ou au moins comprise par l'ensemble des salariés, qu'ils soient en poste, au chômage ou en formation" (AC! 49). En participant aux luttes pour les droits des précaires, on lutte contre les capitalistes, car il est devenu peu évident de lutter contre le Capitalisme dans sa globalité.

LE MEDEF REFUSE DE RENEGOCIER LA CONVENTION UNEDIC ET MENACE DE CLAQUER LA PORTE DU PARITARISME

Si des mouvements sont en marche pour exiger la mise en place de nouvelles garanties collectives, le patronat n'est pas en reste dans la lutte des classes ... Sa stratégie offensive s'est affirmée particulièrement autour de la question des 35 heures, du moins de manière collective (nous n'oublions ni Michelin, ni les stocks-options de Jaffré), et elle se radicalise en ce moment puisque le MEDEF semble avoir décidé de quitter les organismes paritaires (O.P.). Issus de l'après-guerre, après plus de cinquante ans de luttes sociales, les organismes redistributeurs de fonds par des salaires dits différés (Sécu, Allocations familiales, chôm'du, fonds de formations, ...) sont gérés de façon paritaire, organisations de salariés et de patrons définissant suivant le rapport de force ou les compromissions les règles d'accès à ces subsides. Les alliances sont assez changeantes et la tendance à la cogestion s'est imposée au fil du temps, jusqu'à ce que les critères strictes de "maîtrise" des dépenses publiques enlèvent une manne financière importante qui donnait du souffle à ces organismes. Car si leurs fonds sont constitués de cotisations, l'Etat est rapidement devenu un intervenant incontournable et participe de manière structurelle au budget des O.P.. Là, la situation devient critique et si la CFDT, la CFTC ou la CGC excellent dans l'art du compromis, s'attirant la sympathie des patrons, les confédérations comme la CGT se retrouvent dans une posture délicate et surtout en position minoritaire. Le patronat veut profiter de la crise actuelle pour casser le système de protection sociale, comme il tente de faire éclater les conventions collectives dans la négociation sur les 35 heures. Les objectifs avoués du MEDEF seraient de se diriger vers un société dite "de gré à gré", c'est à dire où tout serait individualisé: le contrat de travail définit au cas par cas (idée de Madelin: être tous et toutes des petits entrepreneurs qui vendrait force de travail et savoir-faire), une protection sociale privatisée au moyen d'assurances, de fonds de pensions, etc. Aussi, si le MEDEF pratique comme il l'annonce la politique de la chaise vide, les O.P. se retrouveraient bloqués et aucune prise de décision ne serait possible dans un Conseil d'Administration à demi vide.
D'aucun diront tant mieux, que les patrons n'ont rien à foutre à gérer les fonds sociaux, qu'ils n'ont qu'à cotiser et que les salariés s'occupent de la redistribution. Seulement, s'ils partent c'est pour mettre la pression et arrêter de cotiser. Et qu'un O.P. sans MEDEF, c'est s'aventurer vers l'inconnu, et ce n'est pas le genre des syndicalistes qui ont longtemps trouvé leur compte dans le fonctionnement paritaire, sans parler des postes et des finances qu'ils offraient... L'idéal serait une gestion par les salariés de garanties collectives sans les patrons, mais le rapport de force n'est pas vraiment en faveur des organisations de salariés ces temps-ci. Les cinq centrales syndicales sont donc unies autour de cette étrange revendication: Patrons, ne nous quittez pas ! Encore une fois, les militants de base se retrouvent au pied du mur, sans beaucoup d'alternative à ce mot d'ordre. La vieille rancœur contre la cogestion et le fait que tous les appareils syndicaux aient bouffé au râtelier du paritarisme en adoucissant leurs aspects contestataires refait surface.
Toujours est-il que concernant la convention UNEDIC, la renégociation est bloquée tranquillos par le MEDEF qui ne souhaite pas ouvrir de discussions et laisser se créer des vides, faire pourrir la situation, tablant sur la faible riposte collective des salariés. Il faudra l'élaboration de campagnes largement relayées pour parvenir à inverser le chantage patronal, et surtout à obtenir l'augmentation de ses cotisations, indexées sur les profits comme sur les revenus liés à la spéculation financière.

LA LUCHA SIGUE ! ! !

Pour l'instant, les résultats obtenus sont relativement maigres : 2,7 milliards octroyés au titre de la " prime " par l'Etat en direction de certains minima sociaux, alors que les mouvements réclamaient une allocation de rattrapage d'urgence de 3000 frs. Malgré des conflits forts comme dans les Bouches-du-Rhône qui obtiennent des subsides élargis aux moins de 25 ans et aux autres chômeurs, les minima sociaux ne sont augmentés de 2% (1,50 frs / jour).
Néanmoins, les réseaux de chômeurs et de précaires continuent à tisser des liens pour structurer sur le long terme des mobilisations autour de l'idée de l'assurance-chômage et des droits sociaux. La campagne UNEDIC a du mal à émerger il est vrai, d'autant plus que les média ne relaient que l'exigence de l'augmentation des minima, alors que des manifestations unitaires comme celles du 11 décembre et du 21décembre posaient clairement la revendication du revenu garanti, la fin des minima vers un optimum.
Il ne s'agit donc pas de lâcher l'affaire, bien au contraire. L'opération " Ouragan " à l'initiative d'AC! PACA et du réseau No Pasaran qui veut faire converger en trains gratuits des collectifs sur Monaco le 28 décembre, est porteuse de ces revendications et surtout participe à nous rapprocher dans l'analyse et dans l'action. Gageons que cela deviendra une initiative parmi d'autres pour enfin forcer les patrons à assumer leurs responsabilités dans le carnage social.

Retour sommaire