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Wed, 02 May 2001 15:24:38 +0200
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globe_l: Colombie : quelles raisons d'espérer
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Colombie, quelles raisons d'espérer ? Un entretien avec José Gutierrez,
fondateur du Comité permane colombien des Droits de l'Homme
Entretien exclusif réalisé par Joseph Gicquel, journaliste pour Vox
Latina
La Colombie reste le dernier pays d'Amérique latine en
proie à une guérilla qui tient tête au pouvoir central depuis
plus de trente ans, contrôle la moitié du territoire et accroît
même ses positions.
Le Comité permanent colombien des Droits de l'Homme a
tenu fin juin son 9e forum à Bogota. Son fondateur et
vice-président, José Gutierrez, francophile et francophone,
explique les fondements historiques et politiques de la
crise et ses raisons d'espérer.
VOX Latina - La Colombie est le seul pays
d'Amérique
latine
qui n'arrive pas à mettre fin à la guérilla alors
qu'elle est en
démocratie. A quoi attribuez-vous cette situation ?
José Gutierrez - Le problème fondamental de la Colombie
est qu'elle n'a jamais réussi à mettre en place un Etat
fort La Colombie a toujours privilégié la voie démocratique,
mais la démocratie s'est toujours montrée faible, trop
faible pour prendre à bras le corps et résoudre les problèmes du peuple
plongé depuis toujours dans une pauvreté absolue.
VOX Latina - A quand remonte cette situation ?
José Gutierrez - Elle remonte à la Conquête elle-même.
D'abord, les Conquistadors qui se sont installés en
Colombie n'ont pas bénéficié, à la différence du Pérou ou du
Mexique, d'appui important de la couronne espagnole. Ensuite,
géopolitiquement, l'Espagne a fait de la Colombie la
charnière entre le Pérou et le Mexique et le représentant de la
couronne n'était que le troisième vice-roi de la zone
(dénommé en 1740 Nouvelle-Grenade et qui englobait alors
le Venezuela, l'Equateur et le Panama). Enfin, la
population indienne colombienne était la troisième par le nombre après
celles du Pérou et du Mexique. En outre, comme elle n'avait
pas les richesses en or des Incas et des Aztèques, elle
s'est trouvée prise en sandwich entre ces deux pays et a été
massacrée.
Autre fait important, la guerre d'Indépendance. Elle a été
terrible.
Dès la fin du 18e siècle, les taxes prélevées par l'Espagne
ont provoqué des soulèvements qui ont amené, dès 1810, la
plupart des territoires de la vice-royauté à faire
sécession. Sévèrement battue par Bolivar en 1819, l'Espagne a dépêché
en Colombie une puissante armée - 20 000 hommes - qu'elle
n'a déployé dans aucun autre pays voisin et a ravagé le
pays. Depuis, jamais un Etat fort n'a pu prendre corps.
VOX Latina - Comment expliquer qu'aucun homme fort,
pour ne pas dire un dictateur, n'a profité de cette
faiblesse ?
José Gutierrez - L'indépendance a été suivie d'une volonté
démocratique qui a été émaillée de crises, de massacres
même - certains furent sanglants, comme la Guerre des Mille
Jours, de 1899 à 1902 - mais la démocratie n'a jamais été
remise en cause par les deux forces qui se sont depuis
toujours partagé le pouvoir, le parti conservateur et
le parti libéral, avec, au cour de leur opposition, la place et
le rôle de l'Eglise.
Dès 1930 et jusqu'en 1948, le Parti libéral au pouvoir a
même entrepris des réformes sociales révolutionnaires, pour
le continent et même, pour l'époque, à l'échelle mondiale :
réforme agraire, reconnaissance du droit de grève et des
droits syndicaux, salaire minimum et congés payés, sous
l'influence du président Alfonso Lopez !
Le pays n'a connu qu'une dictature au sens strict du terme
en 1953. Elle a duré si peu de temps, trois ans, que les
récits et rétrospectives courants ne la mentionnent même
pas et la junte militaire qui a renversé la dictature a
dû se résoudre à rendre le pouvoir aux civils et à la démocratie.
Aucun autre pays latino-américain ne peut se prévaloir d'un
tel ancrage démocratique.
VOX Latina - Comment expliquer que la démocratie
reste
encore aujourd'hui impuissante ou paralysée ?
José Gutierrez - Après l'assassinat du leader du parti
libéral Gaitan en 1948, et la flambée d'extrême violence, appelée
d'ailleurs La Violencia, qui a suivi, le Parti
conservateur et le Parti libéral ont constitué un gouvernement d'union
qui
a
tenu jusqu'en 1974. Mais, en arrière-plan, l'armée a été
érigée en rempart de la démocratie. Elle n'a cessé depuis
d'étendre son influence au point d'être aujourd'hui
surpuissante, 250 000 hommes pour une population de 35
millions d'habitants.
VOX Latina - Et cette impuissance a ouvert le champ
à
la
guérilla ?
José Gutierrez - Comme les autres mouvements
latino-américains, la guérilla est née dans les années 1950
avec l'influence montante du communisme. Les dissidents
n'ont eu aucun mal à trouver un écho favorable auprès d'une
population lassée autant des crises à répétition que des
réformes toujours promises et jamais concrétisées.
VOX Latina - Pour autant, la guérilla n'est pas
toujours
plébiscitée dans les régions qu'elle occupe. Son
implantation relève dans certains cas de la coercition.
José Gutierrez - La guérilla a mis en place un
véritable Etat dans l'Etat. Elle a instauré des règles de fonctionnement
autoritaires, un système primitif de justice. Qu'on
l'approuve ou le désapprouve, son système marche. Il se révèle plus
efficace, plus protecteur que les institutions du pouvoir
central. Les populations en éprouvent une certaine crainte,
mais aussi un sentiment de protection qui créée au bout du
compte un climat favorable à la guérilla.
- Les guérilleros seraient, dit-on, de 25 000 à 30 000. Ils
contrôlent la moitié du pays. Leur puissance ne cesse de
grandir...
José Gutierrez - Ils ont en effet atteint une puissance
très importante. Ils ont de l'argent. "L'impôt révolutionnaire"
prélevé sur la coca leur procure des recettes pour acquérir
des armes très modernes. Ils tirent également de l'argent
des enlèvements de personnalités et d'hommes d'affaires
dont ils monnayent la liberté contre rançon (1).
VOX Latina - Cette masse de guérilleros ne se
traduit-elle
pas aujourd'hui aussi par une incapacité de ses
dirigeants à la contrôler, et donc par des dérives ?
José Gutierrez - Comme dans tout mouvement livré à
lui-même, l'absence de contraintes et les perspectives
d'enrichissement, a fortiori facile, entraînent des
dérives. La guérilla, loin de s'opposer à la coca, en a protégé la
culture au nom du revenu qu'en tirent les paysans.
A l'inverse, elle a toujours dit vouloir la taxer mais
ne pas tremper dans la transformation ni le trafic. Raul Reyes, le
chef des FARC (2), répète, comme preuve de cette attitude,
que si la guérilla s'adonnait au trafic pour acheter
des armes, il y a longtemps que la guerre serait finie.
Mais, aujourd'hui, des membres de la guérilla
participent à ce trafic ou en profitent. De même, les délinquants
soudoyés
pour opérer les enlèvements agissent pour leur propre
compte et commettent d'autres méfaits. C'est aujourd'hui le
talon d'Achille de la guérilla.
VOX Latina - Le tableau est noir. Vous avez créé le
Comité
permanent des Droits de l'Homme en Colombie en
1980.
Vous en êtes le vice-président. Vous dites que vous
avez vu
la moitié des membres des bureaux successifs
assassinés.
Malgré tout cela, en dehors de l'évocation de la
crise, vous
parlez de la Colombie avec enthousiasme. Cela
signifie
que
vous avez des raisons d'espérer ?
José Gutierrez - Le forum du Comité des Droits de
l'Homme qui s'est tenu en juin est le neuvième du nom.
Cette manifestation a vu le jour en 1980, à une époque où
l'armée pratiquait officiellement la torture. Le forum a, à
l'époque, dénoncé ces pratiques et il a obtenu qu'elles
cessent. En dépit de la situation de violence, grave,
je trouve en effet dans mon pays de profondes raisons d'espérer.
La première est que l'économie fonctionne et elle est en
bonne santé, ce qui est assez admirable, avec cinq ou six
secteurs économiques dynamiques : café, pétrole, fleurs,
nickel, charbon. Cette prospérité fait vivre quelque 25
millions de Colombiens, ce qui rend la guérilla de fait
minoritaire en dépit de son contrôle de la moitié du pays.
Je fonde aussi mes espoirs sur l'enracinement démocratique
du pays. A aucun moment de toute l'histoire pourtant agitée
de la Colombie, les libertés publiques n'ont été
suspendues. Une loi a été votée pour rendre imprescriptibles les crimes
contre l'humanité. Les structures juridiques du pays sont
donc solides et elles sont en adéquation avec le contexte
international de refus des massacres et des crimes.
Enfin, les pourparlers avec le président Pastrana se poursuivent
et les deux parties savent qu'il n'y a d'issue que dans la
négociation d'une réintégration.
Joseph Gicquel
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